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Santé au travail: passer du curatif au préventif c'est possible

Publié le par cfdtcg42.over-blog.com

La Haute-Savoie a franchi la frontière des « risques psychosociaux » pour élargir son champ d’action à la qualité de vie au travail. Des chercheurs en «  santé au travail » l’y ont aidée.

En 2008, le conseil général de Haute-Savoie élabore son document unique. « On a passé en revue les risques professionnels dans les collèges et les routes. Les risques psychosociaux (1) sont apparus quand on est allés sur la direction sociale » explique Anne-Marie Ségade, DRH. Une intuition la pousse à élargir l’investigation à la « santé au travail » dans toute la collectivité. « Car si on s’arrêtait aux RPS, on s’arrêtait au conflit, au harcèlement, à l’agressivité des usagers… Notre démarche devait se concentrer davantage sur la manière d’améliorer la circulation des informations, la communication, la reconnaissance des agents, quels que soient leur métier et leurs fonctions ».
Restait à trouver l’expert qui guiderait le conseil général, de préférence bienveillant, mais sans concession, et sachant faire preuve de confidentialité… Ce sera Emmanuel Abord de Châtillon et son équipe de chercheurs de l’Irege (voir témoignage). Les chercheurs font accoucher les services de propositions et les accompagnent dans la mise en œuvre. Un plan d’actions est posé en décembre 2011. Il faut agir sur « le management », « la violence interprofessionnelle », « le vivre ensemble », et « le sens au travail ».
Au total, 110 responsables sont formés et/ou en cours de formation.

Du curatif et du préventif pour le management malade
Les managers ont été largement épinglés lors de l’enquête de repérage. Certains ne font jamais de réunions, ne disent pas bonjour, ne savent ni déléguer, ni donner les bonnes informations, ni faire le lien entre les personnes, ni motiver. « Ça pèche un peu chez certains » constate pudiquement la DRH. « La solution de facilité aurait été de prendre ce qui existe dans les catalogues de formation », mais les RH se lancent, avec l’aide des chercheurs, dans la mise en place de formations sur mesure. Le cas des chefs des services des routes, des cantines, et des services sociaux est examiné de très près. « C’est là que l’on a constaté le plus de défaillance et de souffrance ».
Au total, 110 responsables sont formés et/ou en cours de formation. Quant aux primo-managers, leurs besoins de formation sont également importants, et listés précisément en concertation avec un groupe primo-managers. La direction des ressources humaines entreprend, pour sa part, une formation « socle commun » auprès de tous ses managers, portant sur les RH, les statuts, les règles de la comptabilité, la charte informatique… Par ailleurs, le conseil général fait appel à des formateurs extérieurs pour tout ce qui relève de la gestion de conflits.

Vitamines et huile dans les rouages…
Plusieurs initiatives sont prises :
- _pour développer le « vivre ensemble, recréer du collectif, améliorer le climat social », le conseil général se dote surtout d’un service de communication interne digne de ce nom, avec trois personnes à temps plein. Le bulletin interne, l’intranet sont ainsi repensés, étoffés. Des nouvelles actions sont menées, comme les petits-déjeuners entre voisins, des visites de terrain, etc. ;
- _pour faciliter la mobilité, une charte de recrutement est rédigée. Elle a plusieurs objectifs : faire bouger les agents pour lesquels on estime que c’est nécessaire, lever certains soupçons de favoritisme en faisant toute la transparence sur les procédures de mobilité interne. Le jury doit ainsi désormais fournir une justification quand il souhaite recruter en externe ;
- _un « service d’urgence » est instauré pour aider les agents rencontrant des difficultés financières. 20 personnes en ont déjà bénéficié depuis son démarrage, il y a 5 mois… ;
- _enfin, pour mieux « traiter les violences interpersonnelles », le conseil général étudie l’élaboration d’un mode d’emploi, facile d’accès, rassurant et à la portée de tous les agents (qui contacter, quand, où, confidentialité…). Des « référents management et santé au travail » seront également désignés dans chaque direction, pour faire remonter les problématiques et ils travailleront en mode projets.
Pour l’heure, l’efficacité de ces actions se mesure à l’aune d’un tableau de l’absentéisme par service, largement diffusé.

Quelle évaluation ?
Sur ce volet, le département n’en est qu’à ses débuts. Pour l’heure, l’efficacité de ces actions se mesure à l’aune d’un tableau de l’absentéisme diffusé auprès de tous les responsables de services. Chaque responsable connaît son taux d’absentéisme et peut comparer avec les autres.

Retour de l’angoisse
Avant de quitter le conseil général, les chercheurs ont travaillé avec les agents d’un service d’action sociale en souffrance, qui a produit des propositions de changement. Mais « ces changements validés par les supérieurs, n’ont pas été opérés… » regrette Emmanuel Abord de Châtillon. Une réorganisation s’est mise parallèlement en marche, suite à un audit de toutes les directions sociales. En juin, la nouvelle réorganisation va aboutir. « Et en septembre, promet la DRH, les préconisations issues de l’intervention des chercheurs reprendront ! ».
Une nouvelle source d’inquiétude vient désormais peser sur l’ambiance de travail : la réforme territoriale. « Personne ne sait quoi répondre aux agents sur ce que vont devenir les services. Cela crée un climat d’angoisse, qui contrarie tout ce que l’on fait pour améliorer la qualité de vie au travail » déclare Anne-Marie Ségade.

En quoi votre qualité de vie au travail s’est-elle améliorée ?
« J’encadre une vingtaine de personnes depuis 6 ans. En mars, j’ai suivi une formation de management, qui tombait au moment où je rencontrais quelques difficultés avec différents collègues…
Aujourd’hui, je mets en place des plannings de production, que je transmets à mon équipe. Cet outil a changé positivement l’organisation du travail, et apaisé le climat. » Annick Bessé, chef de cuisine de la cité scolaire de Chamonix.
« Lors d’un petit-déjeuner entre voisins, organisé par le service de communication interne, j’ai rencontré une personne du service informatique. Je lui ai exposé un problème que je rencontrais…
Il est venu me voir, ce qui a permis de le résoudre ! Au passage, lui, a mieux compris ce que nous faisions. » Corinne Warin, assistante socio-éducative à la direction de la gérontologie et du handicap.
« J’ai suivi avec toute l’équipe d’agents, une formation aux techniques d’entretien des locaux, à l’utilisation des produits moins toxiques. Notre matériel a évolué, pour moins de fatigue physique. Nos demandes ont été prises en compte par la direction. C’est pour nous un signe de reconnaissance. Nous avons aussi changé de responsable : les échanges sont plus faciles avec elle. » Nadia Helt, agent d’entretien au collège de Varens à Passy.

Note
(01)Selon l’accord-cadre de 2013, les plans d’évaluation et de prévention des RPS devront être initiés en 2014 et achevés en 2015. - Retourner au texte


L’ŒIL DE L’EXPERT
Emmanuel Abord de Châtillon, enseignant-chercheur à l’Institut de recherche en gestion et économie (Irege), spécialiste de la santé au travail. Il a dirigé l’équipe de chercheurs qui a travaillé pour le conseil général de Haute-Savoie de 2009 à 2013, autour de la qualité de vie au travail…

«… Les personnes au travail ont plutôt envie de bien faire. Si ça ne se passe pas bien : c’est qu’il y a des raisons »

Quelle est la nature de la mission qui vous a été confiée ?
Le conseil général connaissait des problèmes d’absentéisme, de stress, perte de sens, de burn-out… dans certains services. Il avait déjà engagé en 2008 un travail autour des RPS dans le cadre de son document unique. En cela, il était assez en avance. Il souhaitait aller plus loin avec nous, de manière globale, sur la qualité de vie au travail…
Le contrat que nous avons noué avec le conseil général en 2009, était de dire : « on veut bien venir chez vous, on ne coûte pas cher, mais en revanche, on a une exigence, c’est qu’on veut savoir ce que ça va donner, ce qui nous intéresse est de pouvoir le diffuser ! » Nous sommes restés 4 ans. Nous avons commencé notre collaboration par un prédiagnostic à partir de données préexistantes (comptes rendus, rencontres avec les acteurs, éléments du document unique, rencontre avec les syndicats, etc.). On est arrivés à un tableau représentant les « exigences » (tous les facteurs qui empêchaient de bien travailler : surcharge, problèmes managériaux, problèmes d’organisation, méfiance) et les « ressources » pouvant être mobilisées dans cette organisation pour limiter les RPS. Aussi bien la direction que les élus au CHS ont été d’accord avec le constat effectué.

L’ensemble de la collectivité a-il bien adhéré à la démarche ?
Oui, car nous avons procédé à un diagnostic quantitatif pour légitimer le prédiagnostic et pondérer si besoin. Parallèlement, nous avons mis en place sept groupes de travail (une cinquantaine de personnes) sur des thèmes ressortis dans le prédiagnostic : « rôles des managers », « reconstruction des règles de vie communes », « compagnonnage et tutorat, accueil du nouvel arrivant », « gestion des demandes de matériel et d’interventions », « communication interne », « sens du travail et de l’activité », « formation et management des cadres », « savoir se parler, écouter, redonner confiance, gestion de conflits » et « gestion de l’intégration des pathologies et restrictions médicales ». Au moment des résultats de l’enquête, qui avait rencontré une large participation, nous avions déjà des propositions à soumettre à la hiérarchie. On a ainsi gagné au moins six mois. Nous avons aussi sensibilisé l’ensemble des acteurs, du CHS, du comité de direction, de l’encadrement mais aussi des services, sur notre démarche… Les agents ont eu envie d’adhérer car nous partons du postulat que les personnes au travail ont plutôt envie de bien faire. Si ça ne se passe pas bien, c’est qu’il y a des raisons.

Quel est votre bilan ?
Le bilan est contrasté. Tout le volet formation des managers a mis du temps à se déployer, mais a abouti. Nous avons construit une démarche globale sur le management : travail de fond sur des métiers en tension avec les responsables d’action territoriale décentralisée, managers de la direction, chefs de cuisine, et chefs d’équipe de la voirie… Nous avons travaillé pour chacun avec les supérieurs hiérarchiques et les subordonnés. Des réseaux de métiers, de la solidarité entre les acteurs, des échanges de pratiques se sont créés, permettant de construire des parcours de formation des managers et d’affiner les plans de formation. En revanche, notre action sur l’équipe d’assistantes sociales (40 jours de travail avec cette équipe de 15 personnes) avec l’approche : « qu’est-ce qui vous empêche de bien travailler ? » a certes permis de les dynamiser, mais les propositions pourtant appréciées et validées par la hiérarchie (alors que les agents eux-mêmes en doutaient) sont loin d’avoir été mises en place. Est-ce un problème de volonté managériale ? Une crainte de prendre en compte les apports des agents de base ? Un refus du changement ? Une peur de heurter les uns ou les autres ?

D’autres missions en cours ?
Nous menons actuellement quatre missions autour de la qualité de vie au travail, pour des collectivités, avec toujours une volonté de construire des solutions avec les acteurs de l’organisation en partant de la compréhension de leur activité concrète.

La lettre du cadre

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